Mieux appréhender des aspects psychologiques et le comportement humain en circonstances d’évacuation.

Par Laura Künzer – Paru dans FeuerTRUTZ International 1.2016 – www.feuertrutz.com/magazine

Les plans d’évacuation sont un élément important dans les actions d’urgence adoptés par des entreprises ou organismes. En règle générale, durant l’évacuation les usagers doivent se rendre dans un endroit sûr. Des situations comme des incendies, fuites de gaz, explosions, alertes à la bombe ou affaissements de terrains peuvent être la cause de l’évacuation. Les personnes affectées doivent quitter tout ou partie du bâtiment par leur propres moyens, aussi vite que possible et de manière organisée. C’est à distinguer d’une évacuation planifiée, dans le cas par exemple de la découverte d’une bombe ou en prévision d’une inondation.

Un plan d’évacuation doit prendre en compte quatre facteurs [1], [2] :

  • Le type de danger ou l’événement déclencheur, par exemple un feu,
  • L’environnement ou infrastructure affectés par des propriétés structurelles telles que la longueur ou l’accessibilité de voies d’évacuation,
  • Les conditions dans lesquelles des personnes restent à un endroit particulier, par exemple les difficultés rencontrées en cherchant à sortir de bureaux, ou d’une station de métro, etc.
  • Les personnes impliquées dans les différents forces de soutien, comme par exemple les gestionnaire de l’infrastructure, les agents des services de sécurité, les personnes qui prennent la fuite ou celles qui ont besoin d’assistance.

Cet article met l’accent sur le comportement, les réactions et les besoins des personnes lors d’une évacuation. Plusieurs hypothèses qui sont dans une certaine mesure considérées comme des mythes relatifs aux comportements humains durant une évacuation ont été examinées dans des recherches universitaires, mais aussi chez des professionnels. La plupart de ces mythes dérivent d’une mauvaise compréhension ou interprétation d’un comportement humain, mais sont rarement reconnus comme tels [3].

Mythe : les gens quittent le bâtiment dès qu’ils ont entendu l’alarme incendie

Des exercices d’évacuation doivent être réalisés périodiquement dans la plupart des infrastructures. On s’attendrait donc à ce que les personnes quittent un bâtiment dès qu’est déclenchée l’alarme incendie. En réalité la réaction à une telle alarme est toujours influencée par des processus individuels d’évaluation et d’identification, plus des motifs personnels. Ainsi, des études sur des exercices d’évacuation ou des études de cas montrent (par exemple dans [4] et [5]) que souvent les gens ne commencent à évacuer qu’avec retard et après hésitations, ou même refusent d’évacuer un bâtiment. Les auteurs Fitzpatrick et Mileti [6] décrivent cinq phases dans la réception d’une alerte d’urgence. Des problèmes complexes peuvent survenir à chaque phase, et provoquer des délais pour quitter l’infrastructure:

Phase 1 : Entendre Même si l’alarme est transmise par un système d’émission public, on ne peut pas considérer que tous les destinataires vont se rendre compte que l’alarme retentit, même s’ils en ont la capacité physique. Ne pas (correctement) entendre une alarme provoque toujours un retard de réaction. Pour éviter cela, l’audibilité de l’alarme doit être testée dans l’environnement spécifique et adaptée aux bruits environnants (paysage sonore). Il est également conseillé de créer une redondance dans l’alarme, typiquement en ajoutant une alarme visuelle (principe des deux modes sensoriels).

Phase 2 : Comprendre La perception auditive d’une alarme n’est pas la même chose que la compréhension qu’il s’agit d’une alarme et de la signification de son importance. Une alarme incendie est un signal d’alerte acoustique dont le sens peut être ambigu. Le signal d’alerte peut être perçu comme urgent par les destinataires à cause de sa tonalité, mais les risques impliqués et les actions qui en découlent ne sont pas forcément explicites, surtout si les destinataires n’ont jamais entendu d’alarme auparavant. Des exercices réguliers et une sensibilisation aident à comprendre le sens d’une alarme incendie audio, par exemple l’incitation à quitter immédiatement les locaux. Si des formations ne sont pas possibles notamment parce que beaucoup d’occupants sont des visiteurs, une annonce qui explicite le comportement à tenir devrait être privilégiée.

Phase 3 : Identifier une alarme réelle Les réactions humaines à une alerte sont influencées par une évaluation personnelle de facteurs tels que la crédibilité, l’urgence ou la gravité associées à l’alarme. Dans le contexte d’alertes incendies, ce qu’on appelle le syndrome de « crier au loup » peut être observé [7] et [2]. De « fausses alertes » antérieures, entendues lors d’exercices, peuvent réduire la crédibilité d’une alarme, parce que paradoxalement ce son n’est plus considéré comme sérieux (“C’est juste un exercice…”). Cela peut aller jusqu’à un comportement qui occulte complètement l’alerte en continuant l’activité en cours, allant même jusqu’à refuser d’évacuer. Comme il n’est évidemment pas question de négliger les exercices d’évacuation, le point particulier de l’identification de l’alarme devrait être abordé durant ces exercices. De plus, savoir qu’il existe des personnes référentes en cas d’alerte ou d’évacuation peut jouer un rôle important vis-à-vis de la crédibilité d’une alerte. Plus l’alarme sera crédible, plus tôt les personnes commenceront à évacuer les lieux.

Phase 4 : Se sentir concerné L’évaluation personnelle des risques et l’évaluation de la crédibilité d’une alerte jouent un rôle crucial dans les incitations à évacuer. Ce n’est que si les usagers se considèrent eux-mêmes comme les destinataires souhaités de l’alarme (“C’est une vraie alerte incendie, c’est important pour moi !”), qu’ils réagiront correctement et quitteront les lieux. Si possible, une information spécifique concernant l’imminence du danger aidera à reconnaître la pertinence d’une alerte.

Phase 5 : Décider et agir Si une personne est passée par les phases 1 à 4, elle doit décider de comment réagir à l’alerte. Des études montrent (par ex. [4] et [8]) qu’en cas d’alerte trois comportements en particulier sont adoptés :

  • attendre des instructions (“attendons de voir”)
  • rechercher activement des informations supplémentaires pour être à même de mieux décider comment agir
  • quitter effectivement l’infrastructure

Toutes les phases décrites ici doivent être prises en compte pour qu’une alerte réelle déclenche tôt une décision individuelle d’évacuation. En plus d’une conception appropriée de l’alarme physique (volume, choix des mots, etc.), il peut être opportun d’inclure des fonctions spécifiques pour différents groupes destinataires, par exemple des visiteurs qui ne parlent pas la langue locale.

Mythe : les gens se répartissent vers les sorties disponibles

Les évacuants utilisent-ils toutes les issues disponibles ? Dans les simulations d’évacuations, il est parfois présumé que toutes les sorties (de secours ou non) seront utilisées de manière uniforme. Interviews et études de cas montrent qu’en fait les usagers tendent à emprunter les trajets considérés comme des “trajets habituels” [2] c’est-à-dire qu’ils vont utiliser le même chemin pour entrer et sortir d’un bâtiment.

Il existe plusieurs raisons pour lesquelles le gens négligent, voire ignorent des issues de secours disponibles: Nous sommes des “êtres d’habitudes” et nous sentons plus à l’aise à utiliser des trajets que nous connaissons. Dans leur vie de tous les jours les gens ne font pas attention aux issues de secours, et même en cas d’alerte ils auront tendance à utiliser la porte par laquelle ils sont entrés. De plus, les panneaux qui indiquent des voies d’évacuation et des sorties de secours, qui sont vus tous les jours, perdent leur signification si cette information n’est pas utilisée activement (“learned irrelevance” ou « non pertinence apprise » [9]).

Une évacuation est toujours une situation exceptionnelle et peut provoquer du stress. Sous l’effet du stress, les pensées et la perception des évacuants se concentrent sur le fait de sortir et leur recherche d’actions alternatives est limitée. Des gens inquiets et effrayés font ce qu’ils font le mieux et s’accrochent à ce qu’ils connaissent (voir [10]). C’est pourquoi ils utilisent des trajets familiers pour éviter un nouveau stress [11]. En situations de stress, les gens imitent davantage les comportements des personnes qui les entourent, même si ceux-ci choisissent des trajets défavorables.

Les verrous de sécurité sur les portes des issues de secours peuvent créer une barrière psychologique à l’utilisation de sorties alternatives. La crainte de déclencher une alarme en les ouvrant peut avoir un effet décourageant. Et puis les sorties de secours sont, en général, moins attractives parce que moins bien signalisées, moins éclairées, et que l’on n’est pas toujours certain de ce qui se trouve derrière la porte. Cette répugnance vis-à-vis des sorties de secours durant les évacuations constitue un défi en soi pour les services de secours et les organisateurs d’exercices. Une sortie de secours doit être conçue pour être facilement visible, attrayante et engageante, par exemple par l’emploi de lumières de secours spécifiques. Si possible, les entrées et sorties les plus familières doivent être intégrées aux voies d’évacuation. Si une telle conception est impossible, les voies d’évacuation doivent être rendues familières afin d’être réellement utilisées lors des évacuations.

Mythe : les gens ne traversent pas les zones de fumée

La fumée est dangereuse, même les enfants savent ça, non ? En cas d’incendie, le feu lui-même ne constitue qu’un risque secondaire pour la santé des personnes présentes. Les gaz toxiques et les fumées sont considérés comme étant un danger largement plus grand [12]. Ce qui est une évidence pour des services d’urgence ou une brigade de pompiers peut être bien moins évident pour d’autres. Les personnes qui n’ont jamais été confrontées aux risques liés aux fumées ne sont pas conscientes de leur toxicité. Les études d’incendies sur les trente dernières années montrent que ces risques ne découragent pas forcément les gens de courir au travers des fumées. Les usagers traversent les fumées même si les conditions sont clairement détériorées (faible visibilité, difficultés à respirer) par la fumée [2], [13], [14]. Parmi les raisons de courir au travers des fumées, il y a aussi l’envie de combattre le feu ou d’avertir/aider d’autres personnes. D’autres explications sont liées à la répugnance à emprunter des trajets indirects, des détours [15] et à la mauvaise évaluation des risques sanitaires dus à la toxicité de la fumée. On ne peut que constater que les gens courent au travers des fumées, et donc s’ils ont une « bonne » raison pour le faire, il faut aussi expliciter les risques encourus.

Mythe : lors d’une évacuation il y a des mouvements de panique et les gens ont un comportement égoïste

Chacun pour soi ? Dans le contexte d’évacuations, le mot « panique » est tout de suite invoqué. La panique (de masse) dont nous parlons est à distinguer des troubles de panique que peut diagnostiquer un médecin – elle se caractérise par un comportement irrationnel, antisocial et égoïste, par exemple s’échapper à tout prix sans prendre en compte les autres [1]. Même s’il y a eu un certain nombre d’événements pour lesquels on a rétrospectivement parlé de panique de masse, une « vraie » panique de masse est très rare. Alors que la littérature scientifique est d’accord sur ce point, le lieu commun est tenace. La panique de masse est également décrite comme un mythe dans la recherche, [16] et [17]. Le concept (psychologique ou sociologique) de panique de masse n’a pas été encore assez étudié. On peut supposer que le comportement des individus est plus fonctionnel de leur propre perspective, et dépend autant de circonstances locales spécifiques que d’une évaluation individuelle de la conduite à tenir. Il existe peu de preuves empiriques qui soient le signe d’un comportement compétitif ou irrationnel. L’analyse d’événements a plus souvent mis au jour un sens du devoir, une volonté d’aider et de l’altruisme [18] [19].

En réalité, les gens confondent souvent leur peur durant ces circonstances exceptionnelles avec de la panique [13]. Si on leur demande de décrire leur comportement a posteriori, il est clair qu’ils n’étaient pas sous l’emprise de la panique. (“Et puis j’ai paniqué, j’ai appelé les pompiers et ma famille a pu être sauvée.”) En outre, la panique est parfois utilisée comme une explication simple et rapide pour des accidents graves, notamment par les media ou les organisateurs d’événements. Pour éviter des questions de responsabilité ou des remises en cause d’une organisation, une masse de personnes présumées incontrôlables, irrationnelles et égoïstes sera rendue responsable d’une dangereuse dynamique de foule. Pour éviter l’émergence d’une panique de masse, il faut établir une manière de gérer la foule de manière appropriée (contrôle des foules). Redisons aussi que le phénomène de panique de masse n’a pas été encore assez étudié.

Conclusion et implications pour les évacuations

Les quatre facteurs que nous avons mentionnés au début de cet article (type de risque, environnement physique, cause de l’évacuation et personnes affectées) s’influencent mutuellement, et doivent tous être pris en compte dans la conception d’un plan d’évacuation. Souvent les occupants sont seulement considérés comme un facteur d’incertitude et une source d’erreurs. Ils pourraient être regardés comme un facteur et une ressource de sécurité, car ils ont le potentiel pour réagir de manière souple et ciblée en cas d’urgence. Une formation est cependant indispensable. Lors des exercices et du suivi de la formation comme lors d’incidents réels, toutes les voies vers les issues doivent être mises en avant. Lors des comptes-rendus, il faut détailler et discuter le plan d’évacuation et les conduites à tenir. Il est toujours indispensable de passer en revue l’efficacité de toutes les actions durant les exercices, sans oublier la perception et l’adéquation des personnes référentes.

Traduit par 1Point2 avec l’aimable autorisation de l’auteur.

Auteur
Laura Künzer Docteur en psychologie, associée dans Team HF – « Human Factors », (recherche, conseil et formation à Ludwigsburg, Allemagne)- et assistante de recherche à l’université de Iéna, conférencière invitée sur la sécurité des visiteurs par l’université des sciences appliquées de Cologne. Son travail et sa recherche portent sur : psychologie et sécurité, comportement humain durant les évacuations ; conception d’alertes et d’alarmes.

Références

[1] Hofinger, G., Künzer, L. & Zinke, R. (2013). „Nichts wie raus hier?!“. Entscheiden in Räumungs- und Evakuierungssituationen. In S. Strohschneider & R. Heimann (Hrsg.), Entscheiden in kritischen Situationen. Umgang mit Unbestimmtheit (S. 249–263). Frankfurt/M.: Verlag für Polizeiwissenschaft
[2 ] Tubbs, J. S. & Meacham, B. J. (2007). Egress design solutions. A guide to evacuation and crowd management planning. Hoboken, NJ: John Wiley & Sons.
[3] Schneider, U. & Kirchberger, H. (2007). Evakuierungsberechnungen bei Brandereignissen mittels Ingenieurmethoden. Vorbeugender Brandschutz, 62–76. Disponible à l’adresse www.brandschutzjahrbuch.at/2007/2007_Beitraege/62_Evakuierung.pdf
[4] Hofinger, G., Zinke, R. & Künzer, L. (2014).Human Factors in Evacuation Simulation, Planning, and Guidance. Transportation Research Procedia. The Conference on Pedestrian and Evacuation Dynamics 2014 (PED 2014), 22-24 Octobre 2014, Delft, Pays-Bas, 2, 603–611.
[5] Kuligowski, E. D. (2009). The process of human behavior in fires. NIST Technical Note 1632, NIST. Consulté le 12.03.2012. Disponible à l’adresse http://fire.nist.gov/bfrlpubs/fire09/PDF/f09027.pdf
[6] Fitzpatrick, C. & Mileti, D. S. (1994).Public risk communication. In R. R. Dynes & K. Tierney (Hrsg.), Disasters, collective behaviour, and social organisation (S. 71–84). Newark: University of Delaware press.
[7] Breznitz, S. (1984). Cry wolf. The psychology of false alarms. Hillsdale: Lawrence Erlbaum Associates.
[8] Zinke, R., Hofinger, G. & Künzer, L. (2014).Psychological Aspects of Human Dynamics in Underground Evacuation: field Experiments. In U. Weidmann, U. Kirsch & M. Schreckenberg (Hrsg.), Pedestrian and Evacuation Dynamics 2012 (Bd. 2, S. 1149–1162). Cham: Springer.
[9] McClintock, T., Shields, T., Reinhardt-Rutland, A. & Leslie, J. (2001). A behavioural solution to the learned irrelevance of emergency exit signage. In M.I.T. (Hrsg.), Human Behaviour in Fire. Proceedings of the Second International Symposium on Human Behaviour in Fire (S. 23–33).
[10] Dörner, D. (1999). Bauplan für eine Seele. Reinbek bei Hamburg: Rowohlt.
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[13] Fahy, R. & Proulx, G. (2009). ‚Panic‘ and human behaviour in fire. Consulté le 05.12.2012. Disponible à l’adresse http://nparc.cisti-icist.nrc-cnrc.gc.ca/npsi/ctrl?action=shwart&index=an&req=20374110&lang=en
[14] Wood, P. (1980). A survey of behaviour in fires. In D. Canter (Hrsg.), Fires and human behaviour (S. 83–95). Brisbane: John Wiley and Sons.
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[18] Dynes, R. R. (November 2006). Natural Hazards Observer, Natural Hazards Center. Consulté le 22.03.2012. Disponible à l’adresse www.colorado.edu/hazards/o/archives/2006/nov06/nov06c.html
[19] Sivers, I. von, Templeton, A., Köster, G., Drury, J. & Philippides, A. (2014). Humans do not Always Act Selfishly: Social Identity and Helping in Emergency Evacuation Simulation. Transportation Research Procedia. The Conference on Pedestrian and Evacuation Dynamics 2014 (PED 2014), 22–24 October 2014, Delft, Pays-Bas, 2, 585–593.